LETTRE OUVERTE AU PAPE JEAN-PAUL II



Je me rendrai à Reims le 22 septembre prochain sur invitation du Président de la Conférence épiscopale. Pour renforcer mon lien avec vous qui m'avez accueilli à Rome à Noël dernier, et avec les évêques de France. Car je me refuse à briser ce lien de communion avec notre Église, même lorsqu'elle nous entraîne sur des chemins difficiles.

Vous venez célébrer le 1 500ème anniversaire du baptême de Clovis. Comme beaucoup, je m'interroge sur les ambiguïtés de cet événement : Clovis, chef guerrier élevé au rang de fondateur de la Nation... le baptême du roi des Francs devenu celui de tout un pays.

Les approximations historiques, les interprétations théologiques alimentent une polémique dont se nourrissent hélas, les nostalgiques du passé. Un courant intégriste animé par des catholiques traditionalistes et des membres du Front National, récupère à son profit vos discours pour de douteux combats. Dire "Clovis c'est la France" c'est refuser la France d'aujourd'hui et craindre celle de demain.

Vous venez dans notre pays où la fracture sociale s'est aggravée. Beaucoup de français sont préoccupés par la dégradation de la situation de l'emploi et la montée de l'exclusion. La révolte des "sans papiers" qui a pris une dimension nationale n'a pas fini de se faire entendre. Quelque trois cents africains ont cru pouvoir trouver refuge dans une église. Mais la République qui sait se montrer si bonne fille avec l'Église quand il s'agit de commémorer Clovis sait aussi envoyer les forces de l'ordre pour évacuer avec brutalité ces africains, quitte à saccager une église et à casser un symbole.

Dans un cas, responsables de l'Église et de l'État marchent main dans la main, alors que dans l'autre, l'épiscopat français se tait. Comme si une église investie par la police ne le regardait pas.

Permettez moi de vous rappeler que le 22 septembre, jour où vous célébrerez l'anniversaire du baptême de Clovis, on pourrait fêter un autre anniversaire, celui de la naissance de la première République. Simplement pour prendre conscience qu'un des piliers de l'organisation de notre société moderne, c'est le principe de la séparation de l'Église et de l'État, c'est celui de la laïcité.

Cette avancée politique participe parmi d'autres, à la liberté du citoyen. L'homme de foi qu'est le chrétien ne peut que revendiquer cette liberté, liberté pour parler et agir dans la société, liberté pour combattre l'injustice et s'engager aux côtés des plus faibles. Et cela face à toute autorité, quelqu'en soit le prix.

Au début de votre pontificat, vous nous avez rappelé cette parole du Christ "N'ayez pas peur". Cette parole est plus que jamais d'actualité. Les français qui vont vous accueillir ont besoin de surmonter leurs peurs.

Puissiez-vous prendre aussi le temps de les écouter.

Jacques Gaillot
Evêque de Partenia




La lettre de Jacques Gaillot du 1 septembre 1996


La révolte des sans-papiers


Elle s'est étendue de villes en villes comme un feu qui se propage dans la lande ou la forêt, par une sèche journée d'été. Il a suffi d'une étincelle. Quelques sans papiers ont eu l'audace de se lever t de crier : "Vivre ainsi n'est plus possible". Dans leur protestation, d'autres se sont reconnus et se sont joints à eux. Ceux qu'on voulait ignorer sont sortis de l'ombre pour se montrer à visage découvert, pour rappeler qu'ils existaient, qu'ils avaient un nom et une dignité. Ils ont fait irruption dans l'actualité. Fini le temps du silence et de la honte. Fini le temps où l'on obligé de raser les murs et de s'écraser. Certains sont même allés plus loin en entamant une grève de la faim.

Dans la torpeur du mois d'août qui écrasait le pays, cela a provoqué un appel d'air. Il s'est transformé en vent violent. L'incendie s'est propagé. Maintenant c'est le brasier. La révolte des sans papiers a pris une dimension nationale et politique. Elle n'a pas fini de se faire entendre et d'inquiéter les pouvoirs en place. La situation est devenue suffisamment grave pour que le gouvernement prenne l'affaire au sérieux.

Trois cents Africains ont occupé une église, en plein Paris. On s'attend à une intervention imminente des forces de police. Les médias répercutent les menaces qui pèsent sur les familles africaines. Des manifestations de soutien s'organisent un peu partout en France. L'émotion grandit dans le pays. Une foule se mobilise et se porte. De nuit comme de jour elle est là, protégeant l'étranger, comme si elle avait découvert un trésor. Un peuple venu de partout entre en résistance. Si on touche à ces Africains, c'est à eux que l'on touchera.

La révolte des sans papiers est un événement qui fera date. Ce sont les humiliés de la terre qui prennent la parole et s'organisent. Ce sont les exclus qui se mobilisent pour être entendus. En décidant de sortir de l'ombre, ils posent à la société la question de l'intégration et du vivre-ensemble. Le pouvoir a eu tort de traiter avec mépris ceux en qui il ne voulait plus voir que des étrangers, oubliant que leurs ancêtres avaient payé l'impôt du sang en venant défendre notre sol. Un pays qui durcit à ce point ses lis sur l'immigration va dans la mauvaise direction. Un pays qui veut se protéger à l'excès enferme et nous enferme tous. La politique rigide de clôture des frontières nous condamne à mourir.

Les hommes du pouvoir ont fait le choix de la répression au lieu de négociation.

1 500 CRS ont donné l'assaut avec brutalité. A coups de haches ils ont fracturé les portes de l'église. Ils ont lancé des gaz lacrymogènes malgré la présence d'enfants et de grévistes de la faim. Tout le monde est embarqué. Cette rafle en rappelle d'autres. C'est la honte.



Jacques Gaillot





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